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Journal d'un TELien (35)


Journal d'un TELien (35)

Mardi 18 mai 2004.

Après les blagues, un peu de sérieux. Car si la chanson populaire a de quoi divertir sur tous les tons son homme, seul le travail peut garnir son assiette en carton.

Donc, voici ce que je me propose de faire ce jour : un chef-d’œuvre… tout bonnement ! Histoire de m’ouvrir les portes des musées, d’asseoir mon nom dans les encyclopédies, et d’assurer à jamais fortune à ma descendance. Après tout, un chef-d’œuvre, ce n’est jamais qu’un tableau un peu plus abouti que les autres, la quintessence de la perfection, la pensée humaine faite image. Si quelques uns y sont parvenus, pourquoi pas moi ? Je forcerai ma nature, je m’acharnerai au besoin, voilà tout ! Il n’est rien que l’on puisse obtenir sans volonté.

Maintenant que j’ai satisfait à tous mes besoins (les ablutions, le boire, le manger et le reste), manière de n’être plus déranger de la journée par les petites obligations triviales inhérentes à mon espèce, je n’ai qu’à tirer le verrou de l’atelier et m’atteler à la chose.

Installé à même le plancher, dans ma pose fétiche du lotus et les yeux clos, j’attends patiemment qu’une première idée frappe à la porte de mon esprit. Je regrette assez rapidement de n’avoir pas doublé l’épaisseur de mon en-cas du petit matin, car les gargouillis qui s’échappent de mon ventre sont un frein à ma concentration. Bon ! Réajustons la pose et revenons-en à notre dessein. L’unique donnée que je cerne pour le moment est le format de ma future création : gigantesque. À se fouiller la tête et vider son cœur, à quoi bon se limiter à quelques centimètres carrés ? De la peine que l’on se donne, seuls les premiers élans coûtent et fatiguent, mais la suée s’installe pour un temps. Alors autant vaut qu’on en aperçoive de très loin le résultat. D’accord, mais l’idée, le sujet, le motif, le prétexte de ce chef-d’œuvre ? Hé ! Oui ! Pourquoi pas… Ah ! Zut ! Fichues pétarades ! Quel est le couillon qui nous a inventé ces moteurs à explosion ? Je ferme les persiennes afin d’en atténuer les ondes maléfiques. Retrouve, agacé, mon plancher. Où en étais-je ? Ah ! L’inspiration… C’est que ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, ce machin-là ; en tout cas, pas de celle qui vous fait basculer du dimanche à la postérité. Je me comprends. Étant coutumier du travail léché, il me faut cette fois convaincre par du génie. Il m’arrive, à mes heures fièvreuses, de m’en croire capable. Je me suis même figuré à une ou deux reprises l’avoir touché du doigt ; ce n’était que mirage, illusion, orgueil. Mais aujourd’hui doit être ce jour qui me délivrera du doute ; parce que je peux bien me l’avouer, à présent… que m’importent les musées, l’Encyclopédie ou la fortune, quand je voudrais simplement être en paix avec ma conscience : suis-je peu ou prou digne de ce " costume " de peintre dont je m’habille jour et nuit. Et pour cela, je dois, je crois, être capable de dévier de mes logorrhées picturales.

Je sens qu’aujourd’hui est heure de vérité, je le sens. À cause du soleil, là-haut ? Peut-être. Pour avoir croiser une araignée hier soir, qui sait ? Pour le besoin de ne plus me payer de mots ? Alors ! ce vent d’inspiration qui doit m’emporter vers le vrai, la tranquillité, cette idée qui… Ah ! Je l’avais tout à l’heure, là ! sur le bout de la langue… sans le brouhaha de ce monde moderne, j’en serais déjà à la disposition de ma palette ; non ! vraiment, il faudra un jour que je songe sérieusement à m’installer à la campagne, voire à la campagne sur une île déserte… Il y était question de… de… Ah ! Ça commençait par… C’est à dire que je fonctionne ainsi : un bon titre, un bon sujet, un bon tableau. Le premier induisant le deuxième entraînant le troisième. Le mot, tout à l’heure, comme un éclair lançant ses étincelles de lumière dans le ciel noir, le premier d’une courte phrase mais d’une excellente idée, m’a effleuré l’esprit… c’était… c’est… Quoi encore ? On toque à la porte… Ils t’attendent ! Quel jour sommes-nous ? Mardi, voyons

Chienne de vie ! Chienne d’illumination ! Qui font tout, l’une et l’autre, pour que j’ajourne sans cesse ma conquête de la félicité… Elles ne perdent rien pour attendre, celles-là ! Je m’y remettrai demain ; et le lendemain, s’il le faut. Après tout, je ne serais guère le premier à jouer les Sisyphes

 

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